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Par la Voix Sépharade. Victor Teboul : J'écris pour que notre vécu de Juifs sépharades soit aussi inscrit dans la littérature québécoise

L'itinéraire de Victor Teboul ressemble à celui de nombre d'entre nous qui sommes arrivés au Québec dans les années 1960. Originaire d'Alexandrie, Teboul a quitté l'Égypte avec ses parents avec la vague d'expulsions qui a suivi la guerre de Suez en 1956. Établi d'abord en France, il émigre au Québec en 1963.

C'est un regard tout à fait inhabituel que Teboul pose dans ce livre sur le Québec et les rapports entre Juifs et Québécois. Ce regard en a séduit plusieurs, car le récit est truffé de péripéties et de réflexions humoristiques.

La critique a d'ailleurs été élogieuse. « Un vrai délice, ce récit de l'épineuse et fructueuse insertion d'un Juif sépharade dans la communauté franco-québécoise » a écrit Gérald Leblanc dans La Presse. Le récit est « plein d'aperçus qui peuvent porter à réflexion » affirmait, pour sa part, le critique Robert Chartrand dans Le Devoir. C'est un roman qui suscite « la compréhension, au-delà des différences et des différends » déclarait-il dans ce long article qu'il lui consacrait. Un livre « audacieux », « sincère et touchant » notait le chroniqueur du journal ICI, Osée Kamga.

Q - « Que Dieu vous garde de l'homme silencieux quand il se met soudain à parler » est-ce un roman autobiographique?

R - D'une certaine manière. Le parcours que j'y raconte est le mien, mais les situations que je décris sont fictives. Je suis né à Alexandrie, j'ai vécu en France et je suis arrivé au Québec au début des années 1960, comme Maurice Ben Haïm. J'ai étudié aussi à Sir George, mais je n'ai pas connu les personnages que rencontre Maurice, ni vécu les mêmes situations.

Q - Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire ce roman?

R - Il y a plusieurs facteurs qui m'ont motivé. J'ai voulu réfléchir sur notre présence au Québec et au Canada, en tant que Juifs, peu importe notre origine ou notre appartenance linguistique. J'ai parfois l'impression, lorsqu'on parle de rapprochement, que l'on est une entité parallèle à la société québécoise, alors que nous avons des racines très profondes ici, nous faisons partie de l'histoire du Québec. En tant que francophones, on fait en plus partie intégrante de la vie culturelle et économique du Québec. C'est un peu la raison pour laquelle j'ai écrit ce roman, pour que notre vécu de Juifs sépharades soit aussi inscrit dans la littérature québécoise.

Q - Mais quand vous parlez de racines, nous, Sépharades, on n'est quand même pas établi ici depuis des siècles, quarante ans tout au plus...

R - Oui, c'est exact. Mais Maurice Ben Haïm s'inscrit en continuité avec une histoire, celle des Juifs du Québec, qui a eu cours avant son arrivée. Donc, dans ce sens, il y a une histoire ici qui le précède et avec laquelle il doit composer. Ainsi, si nous immigrons en France, nous nous identifions à une histoire des Juifs de France, même si nous, en tant qu'individus, venons tout juste d'arriver. Nous ne sommes donc pas des étrangers, puisque d'autres nous ont précédés et y ont posé des jalons. C'est la même chose au Québec.

Q - Mais cette histoire n'est-ce pas aussi celle que nous Sépharades avons vécue au Québec depuis notre arrivée dans les années 1960?

R - C'est sûr que plusieurs se retrouveront dans ce que je raconte. Certains ont même pensé que c'était un roman à clefs! Mais ce n'était ni mon intention ni mon objectif d'écrire un récit historique. L'action se situe dans les années 1960 parce que tout le monde était en quête de son identité à l'époque, y compris les Québécois. C'était donc une ambiance idéale qui se prêtait bien à mes interrogations qui, elles, sont très actuelles. Parmi les questions que je soulève, il y a celle-ci : que doit faire un immigrant pour être accepté en tant que québécois, alors que le Québec n'est pas un pays?

Q - Maurice subit tout un choc en débarquant au Québec.

R - Oui, c'est causé par la langue, l'accent, l'histoire. Il trouve même que le soleil ne se couche pas au bon endroit! Mais il découvre aussi les siens, les Juifs. Il découvre toutefois que ces derniers sont différents de ceux de France ou d'Égypte, à cause de leur parcours, et cela l'étonne beaucoup. Il ne cesse d'ailleurs d'être étonné de ses découvertes. Comment tous ces gens qui habitent le Québec parviennent-ils à vivre ensemble, sur un même territoire, sans partager la même histoire? C'est cela qui intrigue Maurice.

Q - Maurice a aussi beaucoup d'humour!

R - Oui, c'est ce qu'on me dit. ça me fait rire qu'on dise cela, parce que, moi, je projette une image d'homme sérieux! Vous voyez bien donc que Maurice Ben Haïm, ce n'est pas Victor Teboul!

Q - Votre éditeur a posé sur la couverture du livre un bandeau qui déclare que c'est l'« Antithèse de Mordecai Richler ». étiez-vous d'accord avec cette publicité plutôt provocante?

R - Disons que je me suis laissé convaincre. J'ai d'abord hésité avant de donner mon accord. Mais, finalement, je me suis dit que l'on verrait bien qu'il ne s'agissait pas d'une attaque contre Richler. D'ailleurs c'est assez ironique, puisque Richler cite à plusieurs reprises mon premier livre, Mythe et images du Juif au Québec dans Oh Canada! Oh Quebec! En fait, j'ai accepté cette inscription sur le bandeau parce que mon roman offre une autre vision du Québec que celle que nous décrit Richler. Il s'agit ici d'un Juif francophone qui souhaite devenir québécois. C'est une démarche tout à fait différente de celle d'un anglophone. Ce dernier ne cherche pas à devenir québécois, ses liens d'appartenance sont déjà formés, ce qui n'est pas du tout le cas d'un immigrant de langue française. J'ai essayé de montrer ce que cela implique lorsqu'on parle la même langue. C'est aux antipodes de ce que peut vivre un anglophone.

Q - Il y a d'ailleurs un personnage juif anglophone dans votre roman qui joue un rôle très important et qui a un sens de l'engagement politique ou social plus développé que Maurice. Y a-t-il là un message caché?

R - Un message caché? Je n'ai pas cherché à inscrire des messages dans le roman. Il y a aussi des personnages sépharades, mais je pense effectivement que les Achkénazes ont une tradition politique plus ancienne. Les Sépharades, comme on le disait tout à l'heure, venaient d'arriver au Québec au début des années soixante et ils découvraient le Québec en même temps que les Québécois se découvraient eux-mêmes. C'est un moment fascinant de notre propre histoire et de celle des Québécois que j'ai voulu raconter.

S'il y a un message, c'est plutôt dans le résultat qu'il faut le trouver, dans le produit final. Si nous voulons changer des choses au Québec, il faut qu'en tant que Juifs francophones -sépharades et achkénazes- nous plongions dans l'arène publique et transmettions notre sensibilité, notre vision des choses. Nous devrions être plus nombreux à laisser notre empreinte, nous ne devrions pas accepter d'être des intermédiaires quand il s'agit de leadership. Et surtout, il faut dépasser le discours officiel.

Q - Avez-vous d'autres projets d'écriture?

R - Je fais des recherches sur Alexandrie. Ma famille a dû quitter l'Égypte dans des conditions difficiles. Nous étions des réfugiés. Il reste encore des choses à dire sur cet épisode de notre histoire.

Pour plus d'infos sur Que Dieu vous garde de l'homme silencieux quand il se met soudain à parler, cliquez ICI.

La Voix sépharade, mai 2000.

 

 

 



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