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La fondation de la revue Jonathan

par Victor Teboul
Ph.D. (Université de Montréal), Directeur, Tolerance.ca®

J’ai fondé la revue Jonathan en 1981 car je souhaitais favoriser l'émergence d’une pensée juive québécoise de langue française, comme il existe une pensée juive typiquement française au pays de Léon Blum et de Jacques Attali ou une pensée juive américaine dans les États-Unis de Philip Roth. Je pense qu’un jour cela sera possible, mais quoi qu’il en soit, voici mon éditorial paru dans le premier numéro de la revue daté Octobre 1981. On trouvera la collection complète de la publication dans plusieurs bibliothèques. Je rappelle que de nombreux auteurs québécois collaboraient  régulièrement à la revue, qui fut publiée de 1981 à 1986, et que nous fûmes parmi les premiers à faire connaître et à promouvoir la diversité francophone québécoise. Plusieurs personnalités politiques québécoises appuyèrent en outre la revue, tels que Gérald Godin, ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, et Bernard Landry, alors ministre délégué du Commerce extérieur. On reconnaîtra dans les photos ci-dessous M. Landry, à l'occasion du premier anniversaire de Jonathan célébré en 1982 au Musée des Beaux-arts de Montréal, et M. Pierre Bourgault, lors d'une réception de Jonathan, au Salon du livre de Montréal, en novembre 1984.

 

En discussion avec M. Landry, je suis à droite sur la photo (Musée des beaux-arts, Montréal, nov. ou déc. 1982).

Pierre Bourgault, lors d'une réception de la revue Jonathan, Salon du livre de Montréal, novembre 1984.

BLOC-NOTES

Pourquoi Jonathan

Publier une revue juive québécoise, et évidemment de langue française, risque d'en déconcerter plusieurs. Pour­quoi une telle revue alors que la communauté juive dans sa majorité est anglophone ? Les Juifs se payent-ils le luxe d'une revue qu’ils ne liront pas ? 

Si la plupart des Juifs québécois sont, pour des raisons qui relèvent de l'histoire du Québec, effectivement anglophones, les forces vives de la communauté compren­nent, parlent et lisent le français, et cela est une réalité qui englobera progressivement toute la communauté. 

La parution de Jonathan reflète donc une réalité qui sera bientôt vraie pour toutes les communautés culturelles du Québec. 

Mais il y a évidemment plus. Jonathan se veut ambitieux dans ses projets. Il voudrait tout d'abord consolider et donner forme à des liens déjà existants au Québec entre juifs et chrétiens, mais aussi faire connaître les sentiments profonds d'appartenance que ressent la communauté juive à l'égard du Québec. Ces sentiments se sont traduits par des actes concrets que nous révèlent les sociologues et historiens québécois à mesure qu'ils approfondissent leur connaissance du Québec. 

Cette appartenance au Québec et au Canada n'empêche pas un attachement inébranlable à l'endroit de l'État d'Israël. Contrairement à d'autres pays où les Juifs partici­pent activement aux échanges d'idées et contribuent directement aux grands débats qui les animent, ici être juif, c'était souvent vivre en marge de ce monde-là. 

Le Québec, a certes, dépassé la période insulaire qui le caractérisait jusqu'aux années 1960 et qui faisait qu'être juif c'était surtout être canadien. Par rapport à la com­ posante canadienne-française, l'identité juive demeurait une entité distincte au même titre que celle-ci. On était juif ou canadien français. Pas les deux. Depuis, Je terme québécois - terme révélateur de l'évolution des francophones - se veut englobant. Mais on ne peut englober un groupe dans une identité québécoise qu'en tenant compte de ses particularités affectives. Or, pour les Juifs québécois, comme pour les Juifs français ou américains, Israël occupe une place centrale dans la définition de leur identité. 

Au fur et à mesure que les Québécois intégreront dans leur culture l'apport des autres communautés culturelles, ils découvriront que pour celles-ci l'Amérique constitue un creuset de différentes nationalités. Les Italiens comme les Grecs, aux États-Unis ou au Canada, continuent en effet après plusieurs générations à transporter leur mère patrie en eux. 

Création de la Diaspora, Israël, à son tour, a profondé­ment modifié la mentalité juive. Il est bon de rappeler à la suite d'Albert Memmi, dont le Portrait du colonisé n'est pas étranger à l'essor de la pensée nationaliste québécoise, qu'Israël a libéré le Juif. « La libération particulière des Juifs, souligne-t-il en effet dans un autre ouvrage, s'ap­pelle une libération nationale, et (... ) cette libération na­tionale du Juif s'est appelée l'État d'Israël» (1).

Un des objectifs de Jonathan, périodique publié par un organisme représentatif de la communauté juive québécoise et canadienne, sera par conséquent de faire connaître cet attachement à Israël que ressentent les Juifs québécois et de faire comprendre le rôle que joue Israël dans la vie juive moderne. Point de mire du judaïsme contemporain, l'État d'Israël ne constitue pas pour nous qu'une entité politique, il s'inscrit en continuité avec la pensée juive et cristallise les aspirations de tout Juif. L'identification avec Israël n'est pas suscitée par un choix politique, mais dérive naturellement de l'essence juive. Pour nous, Israël représente autant une société, une culture qu'une manière d'être. C'est cette manière d'être que nous tenterons de communiquer à nos lecteurs. 

Cela dit, nous n'aurons pas la prétention de nous mettre à la place des Israéliens. À 10,000 kilomètres de distance, assis dans notre confort nord-américain, il serait facile de critiquer Israël, et quel est l'Israélien qui ne demandera pas au Juif de la Diaspora d'aller sur place s'il veut influer sur telle ou telle politique gouvernementale ? 

Si nous n'avons pas à nous poser en critiques d'Israël, nous ne comptons pas non plus en être les encenseurs ; Israël a dépassé le stade d'un certain sionisme béat des années 1950. Aujourd'hui Israël est. Et c'est ce que nous nous plairons à rappeler à tous ceux qui s'obstinent à nier son existence. Car non seulement Israël existe, mais vit en plus les contradictions de toute société normale. C'est là un fait que même les Juifs ont du mal à reconnaître, parce que nous Juifs, tels des mères poules, avons aussi parfois de la difficulté à accepter la normalité d'Israël. Pour nous à Jonathan, Israël n'est pas une société monolithique ; ce type de société n'existe que dans les pays totalitaires. Les contradictions et les tiraillements ne font que confirmer qu'Israël vit et vibre. Il sera donc question dans nos pages de ce pluralisme d'idées et de points de vue qui caractérisent ce pays. 

Au centre même de ce pluralisme se situe, à un niveau culturel, la dimension sépharade, terme quelque peu généralisateur qui désigne tous les Juifs issus des pays arabes. Aujourd'hui ces Juifs forment la majorité en Israël. Et ils votent en masse pour Menahem Begin. Voilà une réalité qui demeure trop souvent mal comprise des analystes nord-américains, québécois y compris. 

Exclus, ostracisés, emprisonnés, torturés, pendus sur la place publique, comme en Irak, ces Juifs qui se croyaient chez eux ont dû fuir leur pays. Peut-on leur demander, en toute honnêteté, aujourd'hui, alors qu'ils sont enfin chez eux et qu'ils ont un État qui les défend, de faire confiance à l'OLP et de dialoguer avec elle ? 

Ce n'est peut-être pas un hasard si l'auteur de ces lignes doit lui-même son départ de son pays natal à un exclusivisme arabe, xénophobe et anti-juif : le nationalisme nassérien. 

Le nom de Jonathan que nous avons choisi pour notre revue pourrait ici servir de rappel. Un rappel que les Juifs n'accepteront jamais plus d'être détenus en otages. Et pour nous le raid d'Entebbé correspond à ce rappel. On se sou- viendra que ce raid avait permis de libérer les passagers - juifs et non-juifs - d'un avion que des terroristes détenaient sur le sol d'un État gouverné à l'époque par un détraqué. À notre tour, nous tenons à nous rappeler le nom du commandant israélien qui était responsable de cette mission et qui perdit la vie lors de ce raid - Jonathan Netanyahu (2). 

Mais la connotation biblique qui a donné au nom sa symbolique d'amitié - à cause des liens qui unissaient Jonathan à David - ne nous est pas non plus étrangère, comme au reste une autre image, plus récente celle-là, qui fait penser à cet oiseau individualiste, qui planait plus haut que ses compagnons, qu'était Jonathan Livingstone... 

Si nous traiterons régulièrement d'Israël, il sera aussi beaucoup question du Québec, car Jonathan est avant tout une revue québécoise. Nous comptons dans cet esprit ouvrir nos pages aux écrivains et penseurs du Québec, à tous ceux et celles qui ont donné un sens au mot culture et qui ont contribué à faire du Québec une société distincte non seulement dans le domaine des arts, mais aussi au plan économique, si l'on pense par exemple au mouvement coopératif ou syndical ou à toutes ces petites et moyennes entreprises spécifiquement québécoises.  

Victor Teboul
Directeur  

 

  1. Relire à cet effet, La Libération du Juif, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1966, p. 244. (souligné par Albert Memmi) 
  2. Une publication réunissant la correspondance de ce jeune diplômé de Harvard vient de paraître chez Random House, à New York, sous le titre de Self-Portrait of a Hero.

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Voir aussi en ACCÈS LIBRE sur vos écrans : Pleins feux sur Jonathan, une revue juive québécoise au coeur de la diversité.

 

 

 

 

14 déc. 2024

 

 

 

 

 



* Photo : Pierre Gendron


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