Grosse discussion, mercredi 11 avril 2007, à l’émission de 23 heures du réseau TVA. Un hôpital juif aurait interdit à ses patients non juifs de consommer de la nourriture non cachère lors de la Pâque juive. L’animateur Denis Lévesque, l’air toujours mi-figue mi-raisin, semble scandalisé. Déjà aux informations de fin de journée, le même jour, ce réseau donnait la parole à un représentant syndical de cet établissement. Horreur ! On aurait jeté à la poubelle, au début de la Pâque juive, des sacs pleins de nourriture, car non cachère.
Le journaliste -exotisme oblige- montre à la caméra du pain azyme, mais il ne connaît pas le nom en français. Ça s’appelle du «metzo», dit-il, et on demande aux patients qui ne sont pas juifs de manger ce qui s’apparenterait «pour nous à du biscuit soda», explique-t-il encore. «Qu’est-ce que c’est ? Du pain sans levain ?» demande pour sa part le présentateur de nouvelles. «Pour nous»… «Metzo»… Combien de vocables pour décrire des étrangers, des gens qui ne mangent pas comme «nous» alors que MATZA est écrit noir sur blanc sur ces boîtes. Rien n’y fait. Pourtant l’expression pain azyme existe depuis des lustres dans le dictionnaire de la langue française.
Fait-on exprès, dans nos médias francophones, de s’obstiner à ne faire aucun effort afin de comprendre et d’inclure les «autres», notamment par le vocabulaire ? On sent que certains médias du Québec semblent tout à fait dépassés par ces «incidents» intercommunautaires. Ils sont très mal à l’aise. «Je ne croyais pas mes yeux… des zones délimitées…, des employés craintifs…le porte-parole du ministre trouve cela inacceptable». Ce sont les propos qui expriment le désarroi, presque la panique, d’un journaliste qui affirme par ailleurs que c’est un «excellent» hôpital.
Non pas qu’il faille accepter que, dans un établissement public, des citoyens ne puissent être servis convenablement. Là n’est pas la question. La question est de savoir comment nos médias s’y prennent pour nous informer. Non pas pour nous instruire ni pour nous éduquer, ce n’est pas leur rôle. Leur rôle, c’est de nous informer alors que nous vivons dans une société qui se diversifie de plus en plus vite. Ne devons-nous pas demander des comptes aux médias et exiger d’eux qu’ils remplissent ce rôle ? Si leurs recherchistes ne savent pas faire leur travail, il y a de quoi s’interroger. Lorsque nos journalistes ne sont pas eux-mêmes informés, ils contribuent à faire rayonner l’ignorance.
La commission qui doit se pencher sur les accommodements raisonnables aurait aussi tout intérêt à examiner la couverture partielle et sensationnaliste qu’en font des groupes ethnoculturels certains médias de langue française.
Mais revenons à l’émission de 23 heures au même réseau. L’animateur ne consacre pas moins de 40 minutes de son entretien à interviewer un représentant francophone d’un organisme juif. Faut-il croire que le réseau TVA - un des plus grands réseaux de télévision du Québec, sinon le plus grand - n’ait pas réussi à trouver un seul rabbin parlant français parmi les 100 000 juifs de Montréal (dont au moins 30 000 sont francophones) et capable d’expliquer clairement et simplement ce qu’est la nourriture cachère et ce que représente la Pâque pour les juifs québécois ? L’animateur manifestement n’avait qu’une seule idée en tête, marteler une lapalissade : imposer à la population non juive de la nourriture non cachère n’est-ce pas injuste ? répétait-il sans cesse.
N’est-ce pas évident que c’est injuste ?
«N’êtes-vous pas offusqué lorsque des juifs hassidiques vous croisent et ne vous regardent même pas ?» demande aussi l’animateur à son invité ! Quel est le rapport avec le sujet, M. Lévesque ? C’est ce qu’on demanderait à n’importe quel étudiant de cégep. Peut-on plaider l’indifférence, M. Lévesque ? Si je ne salue pas mon voisin, de quoi puis-je bien être coupable ? Le suis-je davantage parce que je porte une calotte ? Un voile ? Que j’ai des cheveux verts ?
Au lieu d’encourager la population à comprendre, à questionner, à approfondir le sujet, bref à aller plus loin, cette émission d’un de nos grands médias francophones s’est contentée d’aggraver la frustration de quiconque souhaite en savoir davantage.
Et puis, lorsqu’il s’agit des médias francophones, pourquoi a-t-on cette désagréable impression qu’il leur faut constamment expliquer ce qu’est un juif, ce qu’il mange, s’il salue ses voisins, s’il se barricade derrière des portes closes ? Un OVNI avec ça ?
Pour paraphraser un autre animateur de fin de soirée de notre paysage médiatique québécois, voici ce que M. Denis Lévesque aurait donc dû faire :
Inviter au moins deux personnes juives ayant des opinions différentes sur la question de la nourriture cachère. M. Lévesque et ses recherchistes auraient sans doute appris, s’ils avaient fait leurs devoirs, que la vaste majorité de la population juive du Québec et d’ailleurs ne mange pas cachère.
Ils auraient aussi appris qu’en invitant un représentant officiel, ils ne pouvaient recevoir que des réponses officielles, alors qu’en invitant des personnes juives issues de milieux différents, ils auraient eu l’avantage de connaître et de faire connaître au public des avis reflétant la diversité juive.
Les téléspectateurs francophones auraient aussi appris que la communauté juive est aussi diversifiée que la société dans son ensemble.
Une dernière question. Pourquoi, lorsqu’il s’agit de groupes religieux, nos médias francophones donnent-ils toujours et uniquement la parole à ceux qui expriment des points de vue fondamentalistes ?
Peut-on souhaiter de la part des médias québécois qu’ils fouillent davantage leurs sujets et approfondissent leurs connaissances de ces milieux qu’on a l’habitude de désigner par ce vocable passe-partout de «communauté culturelle» ?
Paru le 12 avril 2010
Source : https://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=633&L=fr